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Les podcasts ne sont pas ce que vous croyez…

Si vous vous attendez à trouver dans le podcasts le média de masse audio digital du futur, détrompez-vous : le podcast, c’est en ce moment la diversité même, la difficulté à mesurer autrement que globalement, et un type de communication d’une profondeur sans égale.

Une source d’information originale sur les podcasts

On manque plutôt d’informations et de données sur le phénomène des podcasts en Belgique. Or, une source peu exploitée livre déjà depuis quatre ans maintenant un suivi certes général, mais pour bien des aspects unique. En effet, l’enquête menée chaque année dans le cadre du Digital News Report de l’Institut Reuters (Université d’Oxford) comporte depuis 2018 plusieurs questions sur les podcasts.

Croissance relative, diversité des sujets

L’enquête porte sur l’écoute de différents genres, mais les rapports produisent également une donnée de pénétration globale du podcast. Qui nous révèle une croissance lente et perturbée : 2021 est en effet globalement au même niveau que l’année précédente (26%), venant de 15% en 2018. Et des deux côtés de la frontière linguistique, on serait plutôt en train de stagner un peu au-dessus de 20% en Flandre et autour des 30% côté francophone, sans hausse nette.

Détail des chiffres ci-dessous. Le profil des utilisateurs de podcasts est plutôt jeune, masculin mais pas nécessairement favorisé sur le plan socio-économique. On retrouve chez pas mal de segments ci-dessous une certaine stagnation entre 2021 et 2020.

Le questionnaire propose à la base une liste de 5 genres pour l’écoute des podcasts. Aucune de ces thématiques ne s’impose de manière claire. Au contraire, les niveaux d’intérêt sont assez semblables d’un genre à l’autre. Même celui qui émerge très légèrement, celui intitulé « sujets spécialisés », est l’agrégation de thématiques extrêmement variées et de spécialisations pointues, puisqu’on y suggère déjà une série de domaines tels la science et la technologie, la vie des affaires, les médias et la santé...

En bref, la nature des podcasts semble être celle d’une infinie variété, d’une énorme « longue traîne » où les thématiques les plus diverses et les plus pointues peuvent trouver leur chemin. Un article sur le sujet évoque d’ailleurs un paysage de contenu de plus en plus encombré (« an increasingly crowded content landscape ») (1)

Sérieux et fun, chez soi ou en-dehors

L’édition 2019 de l’enquête Reuters avait approfondi la question des motivations. Les principales raisons déclarées sont de l’ordre du rationnel : se tenir informé ou apprendre quelque chose. Mais très vite arrivent des considérations plus liées au divertissement : relaxation, occupation de moments creux ou -justement- le pur divertissement. Autres motivations possibles : écouter autre chose que de la musique (mais pas la radio, donc) ou la recherche de sujets de conversation, mais elles sont plus marginales.

Ci-dessous le profil des répondants par motivation. Les plus jeunes (moins de 25 ans) sont ceux qui évoquent la plus large série de raisons pour l’écoute de podcasts, alors que pour leurs aînés immédiats (25-34 ans), les motivations rationnelles sont nettement moins importantes. Les néerlandophones tendent à privilégier légèrement les raisons « sérieuses » alors que les francophones sont un peu plus portés vers les côtés divertissants. On notera aussi que ce sont les ainés (surtout à partir de 45 ans) et les individus les plus favorisés qui voient plutôt dans les podcasts un moyen d’information.

Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, la question sur la localisation, également sondée voici deux ans, montre une nette supériorité du domicile comme lieu favori de consommation des podcasts. Il est indiqué comme tel par un peu plus de la moitié des usagers belges (49% chez les néerlandophones, 55% chez les francophones). Les usages en mobilité viennent ensuite, mais avec une certaine distance (respectivement 24 et 19% pour les transports, le public puis le privé).

Selon une étude américaine, les lieux d’écoute seraient d’ailleurs significatifs de motivations différentes : l’écoute de podcasts à la maison est plus active et « instrumentale » et traduit plus une volonté d’apprendre ou de chercher l’information. L’écoute en mobilité serait-elle plus liée à une volonté de « passer le temps », d’échapper à la routine, voire à un espèce de « rituel » (2)

Quoiqu’il en soit, les podcasts en mobilité sont plutôt une question de générations : si environ 80% des utilisateurs de plus de 55 ans disent les écouter à domicile, ces valeurs sont nettement plus limitées (sans être modestes) chez les plus jeunes. Lesquels disent écouter des podcasts plutôt en déplacement, ou en-dehors du domicile.

Dans le cadre des enquêtes Reuters, l’attention portait également (en 2020) sur les perceptions de l’apport des podcasts. Ceci en proposant quatre attributs : l’approfondissement, la facilité d’utilisation, l’étendue des sujets et enfin un caractère éventuellement plus « fun ». A vrai dire, aucun des quatre ne se détache vraiment, comme le montre le tableau ci-dessous. Tout au plus note-t-on une différence plus importante entre francophones et néerlandophones sur le côté pratique et la variété des sujets disponibles, deux aspects notés plus fréquemment par les Belges de langue néerlandaise.

Même en décomposant les attributs par le détail des réponses données (de l’approbation totale au désaccord complet, en passant par une position neutre), les différences entre les quatre propositions ne sont pas vraiment énormes : la perception qui se dégage est assez consensuelle, avec des opinions soit neutres soit plutôt positives par rapport à chacune des propositions du questionnaire.

Background : l’étude Digital News Report (DNR)

Les enquêtes Reuters DNR sont réalisées chaque année sur une série de pays (40 en 2021) dont la Belgique. En ce qui nous concerne, l’étude est menée en janvier et/ou février suivant l’année, en ligne (prestataire : YouGov) sur ± 2000 répondants, dont environ 52% de néerlandophones. Les questions portent plutôt sur les usages et attitudes en matière d’information, mais l’intérêt des éditeurs pour les podcasts a poussé le gestionnaire de l’étude à étendre le questionnaire à ce type de canal.

De l’ordre de 90 minutes de consommation par jour

Plus récemment, l’Audio Observer 2021 d’IP s’est aussi très logiquement intéressé aux podcasts, mais se démarque nettement des autres sources.

Pour trois raisons.

D’abord, parce qu’avec une notion d’audience journalière « daily reach », la donnée fournie est beaucoup plus pertinente qu’une notion de consommation « au cours des derniers mois », bien plus vague (3)

Ensuite parce que c’est la première fois en Belgique qu’on parle non seulement de pénétration du podcast, mais aussi du temps d’écoute. C’est ainsi qu’on apprend que la durée de consommation est de l’ordre d’une heure et demie, avec des variations suivant les segments de population : au minimum une heure par jour, au maximum deux, chez les consommateurs de podcasts.

Enfin, parce que l’étude renseigne sur les lieux de consommation : les podcasts sont plutôt consommés en « out of home », au sport ou dans les transports (une part du total de 57%, avec 31% en mobilité) , même si -observation proche de celle de Reuters- c’est le domicile qui vient en premier lieu dans les localisations citées (4).

Par contre, l’information sur les profils recoupe assez bien ce qu’on savait du phénomène : plus répandu chez les francophones que chez les Flamands, plutôt masculin (surtout en Flandre), très centré sur les 18-44 ans avec une pénétration encore plus forte sur les 25-34 ans. Il y aussi une sélectivité plus marquée sur la moitié moins favorisée de la population 18-64 ans : les groupes sociaux 5 à 8, ce qui est ici assez cohérent par rapport à Reuters, qui voit les podcasts plutôt en affinité avec les individus de revenus plus faible.

L’Audio Observer fait une distinction entre podcasts originaux et ceux qui reprennent en « replay » des programmes existants, mais ces deux genres présentent à vrai dire des différences minimes en termes de consommation. Et aussi une forte duplication entre eux : au niveau national, podcasts originaux et « replay » sont consommés au quotidien chacun par ±12% de la population 18-64 ans. En net, la combinaison des deux est inférieure à 15% (14,7) : il y a donc peu de consommateurs exclusifs d’un type de podcast par rapport à l’autre.

Pour perspective, l’étude a été menée en avril dernier auprès d’un échantillon de 2.500 individus âgés entre 18 et 64 ans, et a balayé l’ensemble du spectre audio, de la radio FM/DAB à la musique enregistrée, en passant par le streaming.

Profondeur vs quantité

Etablir une mesure volumétrique du podcast en général n’est pas compliqué si on fait confiance aux déclarations : plusieurs sources crédibles le font, dont celles que nous avons utilisées ici. De là, on peut obtenir des profils d’audience et même des informations au moins générales sur les genres les plus écoutés.

Il est par contre bien plus compliqué de mesurer l’audience d’un podcast donné à l’intérieur d’une fenêtre temporelle bien définie (pour être clair : « combien d’individus distincts ont effectivement écouté ce podcast précis -en précisant s’ils l’ont écouté en entier ou seulement en partie- au cours du mois dernier ? »). Pourtant, l’exemple de Mediametrie en France montre qu’une mesure de téléchargements et d’écoutes en streaming est possible : cliquez ici. Attention : cette mesure repose sur la collaboration des six entreprises de médias participantes et ne constitue donc pas une vision complète sur l’écoute des podcasts. De même, ne sont comptabilisés que des volumes globaux, pas des audiences dûment profilées, comme la plupart des autres médias.

La grande variété des genres possibles, telle qu’il ressort de l’étude Reuters, implique que, au final, même si le phénomène podcast peut être massif et peut attirer globalement de larges audiences (ce qui est déjà discutable), la consommation d’un podcast précis, voire d’une série, relèvera encore longtemps du public de niche. Public limité dont on ne pourra pas tracer précisément le moment de consommation s’il se passe hors ligne : on pourra juste connaître le moment où un contenu a été téléchargé, mais s’il est consommé par la suite sous forme de fichier, on ne pourra pas le tracer. Par contre, ce qui est pratiquement certain, comme le remarque très justement IP c’est  que « Ecouter un podcast s’apparente à un « me time » ; Les auditeurs se retranchent dans leur bulle personnelle » (5). Comme d’autres (6), la régie parle d’une écoute « particulièrement engagée et attentive » (pour rappel, on parle de séquences d’une heure, voire plus).  

Réalisée aux Etats-Unis, une étude sur l’attention montre une capacité unique des podcasts à captiver ses auditeurs, quel que soit le genre pratiqué (7), et conclut à une capacité immersive unique avec le podcast.

Bref, une marque qui utilise le podcast comme moyen de communication peut espérer une connexion assez forte avec les consommateurs qui l’écouteront et/ou la regarderont. Une relation profonde, mais sur un public très restreint et qu’il sera peut-être même difficile de connaître avec précision. Bref, si avec les podcasts vous cherchez le prochain « mass medium », ce canal de communication n’est pas ce que vous croyez. Ou peut-être pas encore, car l’intérêt croissant des grands acteurs du monde digital pourrait changer la donne (8).  Mais ce n’est pas pour tout de suite.


(1) John L. SULLIVAN (2019) “The Platforms of Podcasting:Past and Present” in Social Media + Society, October-December, p. 9.

(2) Sylvia CHAN-OLMSTED & Rang WANG (2020)” Understanding podcast users: Consumption motives and behaviors”, New media & society, October, p.13.

(3) Le DNR ci-dessus se base lui sur « le mois dernier ».

(4) Le domicile comme premier lieu de consommation des podcasts, c’est aussi ce que l’étude britannique de référence sur le digital audio nous enseigne : selon les derniers résultats disponibles (printemps 2020), 48% du temps d’écoute est réalisé au domicile, contre 37% en mobilité (17% en moyens de transport individuel, 20% dans les transports en commun ou en marchant). Source : https://www.rajar.co.uk/docs/news/MIDAS_Spring_2020.pdf

(5) https://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2021-08/2021%2008%2010%20CP%20eStat%20Podcast%20-%20Juillet%202021.pdf

(6)« podcast users could develop a strong relationship with their favorite programs/personalities. This relationship could have several cognitive and affective consequences, such as greater engagement, enjoyment, identification, and loyalty”. Source: Sylvia CHAN-OLMSTED & Rang WANG (2020)” Understanding podcast users: Consumption motives and behaviors”, New media & society, October, p.15.

(7) https://audacyinc.com/insights/audio-is-personal-primetime/ (OTA, “on the air” désigne l’audio diffusé quel qu’en soit le mode, radio ou streaming online).

(8) « If Spotify eschews anonymization in its metrics and links its podcast audience consumption data to specific subscriber accounts—including credit card data and demographics, for example—it could offer a stronger value proposition for podcast networks and advertisers keen on monetizing via target marketing.” John L. SULLIVAN (2019) “The Platforms of Podcasting:Past and Present” in Social Media + Society, October-December, p. 10.